Interview Pascal Ruter

Pascal Ruter par Céline Fedou, Professeure-documentaliste au collège François Brossette, cours (69).

CF : Comment vous est venue l'idée de ces fabuleux personnages, footballeurs et poètes, les "Gaspard" ?

PR : En fait, j’avais depuis très longtemps l’idée d’un roman qui raconterait la rencontre entre un jeune garçon et un ancien champion de football réduit à pousser des caddies sur un parking de supermarché. Le roman devait raconter de quelle façon le jeune héros amenait ce champion déchu à retrouver confiance et le chemin des stades pour un ultime match. Cette idée m’a poursuivi pendant plusieurs années et j’ai même commencé à en écrire le début. Et puis au fur et à mesure de mes lectures le projet s’est transformé. Le film le cercle des poètes disparus que je montre presque tous les ans à mes 4ème a contribué à cette transformation. Je me suis donné comme pari de réconcilier deux activités souvent jugées antagonistes : le sport et la poésie. Le poème de Verlaine, Pauvre Gaspard, qui me hante depuis que je l’ai découvert en classe première, a finalement lié le tout. Voilà comment est né le groupe des Gaspard. Si on doit relier ce projet romanesque à une « mission » pédagogique », disons que j’avais à cœur de montrer une image de la poésie à l’opposé de l’image scolaire qu’on peut en avoir parfois.

CF : Quel est votre poète français préféré ? Et avez-vous une suggestion de poète étranger à nous faire ?

PR : J’ai une culture poétique à la fois relativement mince et assez académique. Il est assez difficile de nommer un poète préféré. Je citerai sans trop réfléchir et dans le désordre les poètes suivants : François Villon, Pierre Ronsard, Arthur Rimbaud, Aloysius Bertrand, Paul Verlaine, Paul Eluard, Francis Ponge, Guillaume Apollinaire.
En fait, j’ai des « poèmes préférés » plutôt que des « poètes préférés ».
Je place très haut quelques poèmes des Illuminations d’Arthur Rimbaud, ainsi que ses sonnets du début (Le dormeur du Val par exemple). J’aime beaucoup la petite voix mélancolique et la simplicité de Verlaine, notamment à l’époque de Sagesse (Le ciel est par-dessus le toit). J’aime également énormément les poèmes en prose d’Aloysius Bertrand qui ont inspiré ceux de Baudelaire. Quelques poèmes de Guillaume Apollinaire sont à mon avis (ne perdons pas de vue que tout cela reste très subjectif) insurpassables comme Le Pont Mirabeau, ou Mai.
Enfin, le poème de Robert Desnos « J’ai tant rêve de toi », me fait immanquablement venir les larmes aux yeux à chaque fois que je le lis.
Mais je suis certain que demain je vais me dire : « Flûte, j’aurais également dû citer mon cher Paul Géraldy, ou l’énorme René Char… » Comme poète étranger, je citerai Goethe, notamment pour le Roi des Aulnes.

CF : Quel est le vers qui ne vous quitte pas ?

PR : Je pense que le vers qui reste gravé en moi le plus profondément est celui qui clôt le poème de Verlaine Le ciel est par-dessus le toit : « Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà, de ta jeunesse ? » C’est le genre de phrases qui accroche et fait réfléchir quand on est au lycée.

CF : À quand un recueil de poésie de votre plume ? Quels conseils donneriez-vous à un jeune lecteur qui voudrait se lancer ?

PR : Je n’oserai jamais écrire de la poésie. Autrefois, j’écrivais beaucoup de chansons qui s’apparentaient à de petits poèmes, mais aujourd’hui je ne me sentirais pas à la hauteur. J’ai déjà du mal à me sentir légitime dans le genre romanesque, c’est toujours avec angoisse que je fais lire mes manuscrits, je ne trouverai jamais l’aplomb de proposer de la poésie. J’essaie en revanche parfois d’insuffler à mes textes une sorte de « buée poétique ». En revanche j’écrirais assez facilement pour le théâtre.

CF : Vos romans ont très souvent une belle galerie de personnages secondaires très attachants. D'où vous viennent-ils et qui vous a inspiré ceux d'André Finckel et Odette Rossignol ?

PR : Ces personnages se sont vraiment construits au fil du roman, petit à petit, touche après touche. Ils sont sortis du brouillard au fil de la plume. Le personnage d’Odette Rossignol est très lointainement inspiré du personnage de Cora Lamenaire dans l’angoisse du roi Salomon de Romain Gary/Emile Ajar. André Finckel fait partie de ces personnages qui représentent pour moi des figures paternelles. Ces personnages désuets, hors du temps, touchent à des racines familiales dont je ne sais pas grand-chose mais qui hantent mon imaginaire. Ils ont toujours quelque chose à voir avec le monde juif, un passé difficile et secret.

CF : Vous écrivez sur des genres très différents : comédie romantique avec Le Talent d’Achille ou Le Cœur en braille, polar avec Rewind, drame social pour Ce que diraient nos pères. Comment passez-vous de l’un à l’autre ?

PR : Il se trouve que j’ai mis très longtemps à être publié, peut-être par manque d’initiative, par manque de talent, ou peut-être aussi tout simplement parce que les choses prennent du temps pour se faire. J’ai donc écrit plus de 20 ans seul, sans contact, sans avis. Pendant toutes ces années, j’ai fait « mes gammes ». Il a fallu tout ce temps pour me dégager de modèles encombrants que je cherchais désespérément à imiter. Maintenant mon plaisir est justement de butiner ici et puis là (c’est donc une chance d’être publié en la littérature jeunesse qui offre une plus grande liberté). Je fais mon miel de toutes les fleurs qui se présentent, celles aux couleurs clairs comme celles aux teintes sombres, sans respecter aucune frontière de genre. Il y a aussi une autre réalité. Quand je sors d’un roman « léger », j’ai plaisir à changer de tonalité, d’aller vers un récit plus grave. Inversement quand je sors d’un roman social un peu lourd comme Ce que diraient nos pères j’ai envie de m’amuser avec un roman léger comme Coup de Boule Corneille. Comme je ne vis pas de l’écriture la notion de plaisir reste majeure dans mon cas.

CF : Complétez la phrase : Allez les...

PR : Gaspard !!! bien sûr !